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jeudi 11 septembre 2014

Regard vierge sur un Montréal de neige

Sur la trace d'Igor Rizzi, film indépendant phénomène de Noël Mitrani, sort en salles vendredi prochain

12 janvier 2007, par Odile Tremblay
 
On a beaucoup parlé des ratés du cinéma québécois au cours de l'année qui a fui. Les fonds publics étaient plantés plus ou moins à bon escient, sans toujours germer en bons films.

Ironie du sort ou leçon de choses, au dernier Festival de Toronto, c'est une oeuvre réalisée avec trois sous par un inconnu d'origine française, tourné au départ sans fonds publics, qui a remporté le prix du meilleur premier film canadien. Venise l'avait sélectionné auparavant. Une perle sortait de l'ombre.

Signé Noël Mitrani, Sur la trace d'Igor Rizzi est un blues, une oeuvre de rédemption remplie de silences, qui s'offre Montréal pour cadre. Un Montréal qu'aucun Québécois de souche, aveuglé par l'habitude, n'aurait eu l'idée de capter. Devant la neige soudain au sol comme une fibre poétique, le film offre des images inédites du pont Jacques-Cartier, des entrepôts, de la tour de l'Horloge, capturées par un oeil étranger en position découverte, jamais blasé. Celui de Noël Mitrani.

Le jeune cinéaste a beau être né à Toronto (de parents français), il ne conserve guère de souvenirs d'un Canada quitté à cinq ans. Mais les mythes et les rêves surgissent très tôt. «Je suis nostalgique de la période où je suis né: les années 60, le début des années 70. La musique, le cinéma de cette époque me fascinent. Mon film est rempli de ces références.»

Existe-t-il de vrais hasards? Il y a deux ans et demi, avec femme et enfants, le Parisien s'est expatrié chez nous. «Montréal a une bonne image en France.» Il trouve un côté latin aux Québécois, sans le côté pessimiste du Français. Son ami le comédien Laurent Lucas, ancien Parisien installé à Montréal et amoureux de notre ville, l'a encouragé aussi à venir au Québec.

C'est ce même Laurent Lucas, accoutré d'une moustache qui le transforme en une sorte de Survenant un peu hobo, qui sera l'âme et le héros de Sur la trace d'Igor Rizzi. Il joue un ancien champion footballeur hanté par la mort de la Québécoise qu'il a aimée et dont il traque le fantôme à Montréal. «Laurent possède le côté sauvage, l'aspect "pelleteux de nuages" du personnage.»

Le cinéaste, qui n'avait que des courts métrages à sa feuille de route, s'était juré de faire un premier long métrage à sa manière, réussi ou raté mais sans concessions, avec les 50 000 $ échappés de ses goussets, en 35 mm. Sur la trace d'Igor Rizzi est produit, écrit, réalisé par Mitrani, qui coiffe aussi les chapeaux de directeur artistique, de costumier, de tout ce qu'on voudra. À la toute fin, à l'heure de la postproduction, quand Pascal Maeder de la maison Atopia, épris du film, a embarqué dans le projet, un peu d'argent de l'État s'est ajouté dans la maigre cagnotte. De nouveaux fonds de la SODEC et de Téléfilm pourraient permettre de payer l'équipe.

Ces visages d'un Montréal insolite, Noël Mitrani les a découverts à vélo. «Je m'étais fabriqué à distance un idéal nord-américain, confesse-t-il. Il fallait le filmer tout de suite avant qu'il ne soit détérioré par le réel.»

Il voit son film comme un western (servi par la musique du genre) mais situé dans nos terres, avec la figure du desperado (Lucas), si malheureux qu'il accepte un contrat d'assassinat pour payer son loyer.

«Le bonheur est lié à la morale, estime le cinéaste. En perdant l'amour, on perd cette morale aussi. La méchanceté consiste en l'abandon de tout espoir. Chacun est hanté par les fantômes de son passé. C'est le sujet de mon film, qui se veut un conte moral axé sur le remords.»

Laurent Lucas (acteur vu entre autres dans Lemming, La Nouvelle Ève, Haut les coeurs!) affirme s'être senti pour la première fois à la genèse d'un projet, avec Sur la trace d'Igor Rizzi. «Noël avait deux idées de scénario: l'une était l'histoire d'un sportif de haut niveau qui perd sa femme québécoise et s'expatrie à Montréal, bourrelé de remords. L'autre, celle d'un homme dont une femme vient mourir sur le pas de sa porte. Je lui ai conseillé de marier les deux intrigues.»

Jamais, non plus, Lucas n'avait versé dans une production aussi artisanale. «On travaillait chez moi. Les enfants de Noël et les miens jouaient dans le film. Nos amis ont fait le son. J'ai rameuté du monde pour avoir des trucs gratuits. Mais au cours du tournage, le directeur-photo Christophe Debraize-Blois et moi sentions bien que le film posséderait une grâce. À cause de la neige, des mouvements de caméra, des longs plans-séquences, des scènes toujours chorégraphiées.»

Le jeune acteur québécois Pierre-Luc Brillant, qui incarne le colocataire du desperado français, avoue qu'au départ l'idée de jouer gratuitement dans un film ne lui souriait guère, mais le scénario lui a plu. «Je vois mon personnage comme un appendice du héros, dit-il. Il apparaît. Il disparaît. C'est un fantôme, un être monolithique. Il représente ce que le personnage principal aurait été s'il ne s'était pas pris en main.»

Noël Mitrani déclare avoir été inspiré par la neige. «Elle impose sa loi, sa blancheur. Ce qui permet de créer un climat réaliste. Nous avons parfois tourné sous des froids extrêmes: moins 26, moins 32 degrés. Il fallait lutter contre la buée dans les objectifs. Le film a été tourné il y a moins d'un an et j'aurais été bien embêté de le faire cette année, avec votre hiver sans neige... » 
 
 
 
 
 

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