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lundi 4 janvier 2016

Séquences rend hommage au film Sur la trace d'Igor Rizzi

Charles-Henri Ramond rend hommage au film Sur la trace d'Igor Rizzi dans Séquences (hiver 2015).
La revue Séquences, qui fête ses 60 ans, rend hommage au film Sur la trace d'Igor Rizzi de Noël Mitrani en le désignant comme l'un des meilleurs films québécois de ces 10 dernières années.

Sur la trace d’Igor Rizzi 

Les démons de Jean-Marc

Charles-Henri Ramond


Sélectionné par la Mostra de Venise – alors même qu’au Québec on ignorait tout de son existence – et choisi par le TIFF comme Meilleur premier film canadien, Sur la trace d’Igor Rizzi de Noël Mitrani est emblématique d’une frange non négligeable d’un certain cinéma québécois, arborant fièrement son artisanat et ses choix artistiques dénués de contraintes. À l’occasion de ce dernier tour d’horizon des soixante dernières années de Séquences, nous souhaitions vous le faire redécouvrir.

Au loin, sous le pont Jacques-Cartier, un type pousse un ballon rouge dans la neige. Sa voix au ton monocorde évoque une brillante carrière de footballeur professionnel en France et détaille les raisons de son échouage à Montréal. Floué par un conseiller financier à qui il avait confié toute sa fortune, Jean-Marc se retrouve ruiné. Pendant ce temps, à l’image, on le voit commettre un vol dans un appartement avec Michel, son complice. Une balade dans une vieille Oldsmobile Cutlass (un personnage en soi, qui est d’ailleurs cité au générique) et, quelques instants plus tard, le décompte du maigre butin qui servira à survivre en attendant mieux. Alternant avec l’action se déroulant à l’écran, la voix hors-champ continue les présentations en relatant les amours tragiques de Jean-Marc avec Mélanie, Québécoise rencontrée en France.

Voilà en quelques lignes un premier quart d’heure d’une savoureuse originalité, qui nous permet d’entrer de plain-pied dans un univers visuel et narratif fortement évocateur. Le cinéaste, né à Toronto de parents français et qui a travaillé pendant de nombreuses années en France, puise dans son statut une force d’évocation hors du commun et repose son imaginaire sur le choc des cultures. Premier film de Mitrani en sol canadien, Sur la trace d’Igor Rizzi exploite l’émerveillement de l’immigrant dans sa façon de montrer sa ville d’accueil. On y retrouve les hivers remplis de neige, les vastes espaces désertiques, les ruelles glissantes du centre ville ou les parcs urbains qui font le charme des quartiers résidentiels. Cette carte postale de Montréal s’agrémente du déracinement (Laurent Lucas, le comédien et complice de Mitrani, est lui aussi d’origine française), permettant ainsi de bâtir un imaginaire haut en couleurs. Manteau de poils style trappeur et chapeau de castor pour le commanditaire du meurtre, omniprésence de la voie ferrée, trame sonore aux tonalités nostalgiques du bluegrass, autant d’éléments qui convoquent le western moderne. Mitrani ne s’engage toutefois pas dans le sillon des films de Far West et encore moins dans celui du thriller psychologique (il s’y essaiera avec moins de réussite dans The Kate Logan Affair, son second film).

Visiblement fasciné par l’américanité toute spécifique à Montréal, Mitrani choisit d’en montrer l’absurdité et de la tourner en dérision. Jean-Marc n’hésite pas, puisqu’il le faut, à tuer pour survivre. En échange d’une forte somme, malgré son bon cœur, ce sympathique loser s’est résigné à faire la peau d’un certain Igor Rizzi, immigrant d’origine italienne. « La vie d’Igor Rizzi contre mon loyer, ma nourriture, ma facture d’électricité. » Le film s’engage alors dans un chemin plus sinueux menant vers un univers onirique peuplé de personnages pour le moins grotesques. Une morte inconnue, un faux flic qui se joue de lui sont autant de rappels à la vie qui finiront par faire sortir Jean-Marc de sa torpeur hivernale.

Sa rédemption passera par les visions en rêve de sa chère Mélanie. Incarné par une Isabelle Blais rayonnante, cet amour perdu deviendra, lors d’une courte scène filmée de nuit sur le Mont Royal, la raison d’être de sa reconquête. Ses démons derrière lui, Jean-Marc quitte enfin la ruelle et arpente les trottoirs de la grande rue. On retrouvera d'ailleurs des traces de ce personnage résolu à en découdre avec son passé dans Le Militaire, troisième film de Mitrani, réalisé en 2013 mais non distribué commercialement. À la fois comédie satirique et ode gracieuse à l'hiver montréalais, Sur la trace d'Igor Rizzi possède une indéniable personnalité qui en fait l'une des productions québécoises les plus originales de ces dix dernières années.

Séquences : la revue de cinéma, Numéro 299, novembre 2015, p. 46



http://id.erudit.org/iderudit/80382ac




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