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jeudi 18 août 2011

"Sur la trace de Noël Mitrani", Chroniques trantoriennes, 29 octobre 2010

Il est des films qui compensent leur budget famélique par une ingéniosité technique, la cohésion de leur équipe et la fraicheur de leur scénario ; et un véritable talent cinématographique. Sur la trace d'Igor Rizzi est de ceux-là. Mine de rien, on assiste à une authentique révélation du cinéma québécois.

Encensé par la critique canadienne, récipiendaire du prix du meilleur premier film au festival de Toronto en 2006, présenté la même année à la Mostra de Venise (semaine internationale de la critique), son auteur-producteur-réalisateur, Noël Mitrani, ne connaitra pas pour autant la couverture médiatique qu'il mérite, dans un landerneau du cinéma francophone qui s'emballe (un peu vite) pour C.R.A.Z.Y. et J'ai tué ma mère.

Sur la trace d'Igor Rizzi raconte les errances de Jean-Marc (l'immense Laurent Lucas – je ne me suis toujours pas remis de sa prestation dans Harry, un ami qui vous veut du bien), un ancien footballeur professionnel français, ruiné par un financier véreux et qui, à la mort de sa femme d'origine québécoise, essaie de se rapprocher de sa mémoire en venant s'installer à Montréal. Paumé, errant dans la ville, il vit de petits larcins et s'enterre dans un appartement dépouillé du Plateau Mont-Royal. Jusqu'au jour où il en vient à accepter d’abattre un certain Igor Rizzi.

À la sortie du film en salles, la presse cinéma évoquait Jim Jarmusch. Certes, le personnage de Jean-Marc traverse la ville comme la vie, sans but, sur des airs musicaux caractéristiques des œuvres de Long Jim.

Mais lorsque cette même presse convoquait les frères Coen, elle oubliait un détail. En effet, les siamois du cinéma américain font certes commerce de la description de personnages ridicules qui appellent le rire grinçant. Sauf que, au fil de leur filmographie, Joel et Ethan n'arrachent guère qu'une poignée de rictus à des cinéphiles complaisants envers le cinéma indépendant. Personnellement, les frères Coen ne me font même pas pouffer. Leur farouche volonté de faire rire en se prenant au sérieux tombe encore et toujours à l'eau.

Si Mitrani est inspiré par les frères Coen, alors l'élève a dépassé les maitres. Car le personnage principal bénéficie du soutien de son auteur qui lui évite constamment de tomber dans le ridicule achevé. Les moments drôles du film sont souvent touchants et en disent longs sur le marasme émotionnel du personnage.

Tourné au coeur de l'hiver montréalais, parfois par -30˚C, avec un budget initial de 50 000 $, une caméra Arriflex trentenaire, un matériel de prise de son prêté et une équipe technique de huit personnes, Sur la trace d'Igor Rizzi impose le respect. Bien des courts-métrages amateurs bénéficient de meilleures conditions de tournage.

Pourtant, le résultat est là. La qualité de la photographie, du découpage, de la gestion d'un plan de tournage (toujours bousculé par les aléas climatiques et les impératifs de la continuité) soutiennent un scénario simple mais efficace. Le tout emballé dans une mise en scène quelque peu envoutante.

Film contemplatif ? C'est un peu court. Certes, le rythme est lancinant mais le film n'est jamais lent. Il y a peu de dialogues mais ils sont bien écrits. Peu de personnages également, mais posés avec originalité. Ah, cet itinérant qui squatte encore et toujours la voiture de Jean-Marc et l'aide à réparer son démarreur gelé !

Mitrani se paie même le luxe de raconter la moitié de son histoire via la voix off de Laurent Lucas. Pari gonflé, quand on sait qu'il s'agit là d'un des procédés les plus "casse-gueule" du langage cinématographique. Mais cette voix off récurrente a le bon goût de ne pas être redondante. Au contraire, elle s'insère sur des scènes apparemment distinctes qu'elle vient magnifier.

Mets-en ! C'est-tu beurré assez épais ?[1] me dirait-on en québécois. Et je dois confesser ne pas être nécessairement très objectif. En effet, Sur la trace d'Igor Rizzi me parle personnellement à différents niveaux.

Tout d'abord, les conditions de tournage évoquent le film amateur. En voyant le métrage se dérouler, j'imaginais sans peine le travail, l'improvisation et la ténacité que l'équipe avait dû déployer. Et le visionnement du making-of a confirmé mes premières impressions. Toutes proportions gardées, cela me renvoyait à mes propres films amateurs, dont deux avaient été interrompus dès le tournage en raison du froid hiver lorrain.

Ensuite parce que Noël Mitrani – qui a quitté le Canada à l'âge de 5 ans – est venu s'installer au Québec en 2005. L'année même où j'immigrais en famille à Montréal. Le temps de trouver un appartement et de laisser notre container de déménagement traverser l'Atlantique en bateau, nous avions emménagé dans un meublé. L'adresse : terrasse Guindon. C'est dans cette même rue à trente mètres de là qu'habite le personnage de Jean-Marc, qui trimballe ses angoisses existentielles dans le parc Baldwin, juste en face. Un parc que j'ai moi-même arpenté en long en large et en travers durant six semaines d'hiver, en me posant des questions sur le passé et l'avenir de ma famille.

Lorsque nous quittâmes ledit meublé, le 1er février 2006 (premier jour de tournage du film…), c'était pour intégrer un appartement à cinquante mètres de chez le réalisateur – que je croise d'ailleurs à l'occasion, ses enfants fréquentant la même école que les miens.

De fait, le film traverse des décors que je ne connais que trop bien : le quartier de l'Hôtel de ville, Le Vieux-Port, les ruelles et les appartements du Plateau Mont-Royal,… Noël Mitrani capte les images d'une ville qu'il découvre. Et c'est très exactement le Montréal que je connais.

Et il y filme un Français qui a perdu ses illusions en France, s'exile à Montréal pour finalement y trouver un nouveau sens à sa vie. Oui, décidément, Sur les traces d'Igor Rizzi me parle…

Voilà donc un film d'auteur sensible, intelligent, pourvu d'une vraie grâce cinématographique mais qui ne se prend pas au sérieux.

http://trantor.typepad.com/blog/2010/10/sur-la-trace-de-no%C3%ABl-mitrani.html/

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